La lueur voilée du lampadaire se targuait d'une allure fantomatique issue de cette brume, légère, presque abstraite mais bel et bien présente dans cette ruelle si proche du fleuve. A son pied, se hissait un simple banc, de vieux métal et de pierre revêtu, campé entre un petit parc de jeux pour enfants quelque peu délabré, la rue principale et le mur de bâtiments insipides et sans âme de la ville. Derrière le terrain touffu où subsistait néanmoins quelques balançoires et tourniquets, d'une autoroute s'échappaient les ronflements de moteur continus, les passages furtifs mais bruyant des bolides, poids-lourds et autres, lancés à grande vitesse. Au delà, la douce mélodie des vagues si anodines mais capricieuses du cours d'eau, bercées par la brise, demeurait à peine perceptible. Au dessus de ce petit banc si rustre un imposant pont d'acier troublait la beauté d'un ciel étoilé loin d'être ravagé pour l'époque par d'éminentes masses nuageuses. L'endroit était peu fréquenté de nuit car à l'écart des artères principales de la ville, plus encore durant la période froide et morose qui débute dès lors que les ténèbres engourdissent la terre avant qu'il ne soit 18 heures.
Une jeune femme était assise sur le petit banc, un téléphone portable collé contre son oreille, parlant précipitamment et de façon fort expressive à son interlocutrice. D'une vingtaine d'années, elle en semblait peut-être trente pour celui ou celle qui n'a pas l'oeil exercé. Vêtue de bottes pointues au talon assez important, surmonté d'un jean moulant se terminant par une veste couleur ocre en cuir, la jeune femme semblait sûre d'elle, une confiance émanant de toute sa personne. De longs cheveux bruns lissés à la perfection, masquant une partie de son regard de par une mèche rebelle et une joie de vivre non dissimulée constituaient pour le coup sa carte de visite en ce début de soirée d'octobre.
« Percy, laisse lui une chance s'il te plait, ne commence pas à te trouver des excuses ridicules pour feinter la soirée!
- Franchement Karelle? Non.. je ne suis plus comme ça voyons!
- Plus comme ça? Qui t'a sauvé la mise la semaine dernière?
- Ce n'était pas toi! De quoi me parles-tu?
- Laura m'a raconté ton dernier rendez-vous galant... la semaine dernière.. L'histoire de la mère qui n'arrête pas d'appeler sa fille, c'était fort bien trouvé de ta part pour faire fuir la pauvre jeune fille que tu avais pourtant décidé de rencontrer!
- Non mais.. tu aurais été à ma place, tu aurais fait la même chose, tu aurais vu cette fille! Elle n'avait aucune conversation, ressemblait à une pépette limite poupée barbie en plus moche bien-sûr et je ne le sentais pas, je n'y peux rien!
- Laura m'a dit qu'avant même parler à cette pauvre fille, tu lui avais envoyée un sms pour qu'elle te sorte de là, tu venais à peine de l'apercevoir!
- Justement, le premier contact, à ce qu'il paraît, est primordial! Je n'ai jamais eu le coup de foudre et j'aimerais bien en faire l'expérience bon sang!
-Pourquoi ne prends tu pas la peine de connaître les gens avant de te faire une idée? Le coup de foudre c'est beau mais en général ça engendre une relation passionnelle qui ne dure guère longtemps. Si tu veux du solide alors ne te contente pas de ce qui est artificiel au premier abord!
- D'accord, d'accord... Attend! Kar' je crois que c'est elle. Elle est sur le trottoir d'en face.
- Tu l'as reconnue?
- Bien-sûr, nous nous sommes aperçues en cam avant de prendre la décision de nous voir en vrai.
- Alors?
- Elle est très grande...
- Pas de fausses excuses! Vas-y! Je raccroche.
- Non.. Karelle? »
Percy éteignit à contre-coeur son téléphone. Elle observa quelques minutes de son poste de contrôle la femme qui venait de passer à l'instant devant elle et qui s'était arrêtée devant la devanture d'un café, l'air un peu anxieux.
Les sociétés évoluent de façon perpétuelle, si hier il était nécessaire de sortir de chez soi pour trouver la personne susceptible de convenir pour un futur amoureux, ce temps semblait malheureusement révolu pour bon nombre de personnes, encore plus dans la communauté gay lorsqu'on ne sortait pas du tout dans le milieu. Internet, merveilleux moyen de communication, était devenu le catalogue de rencontre virtuelle préféré de bon nombre de prétendants et prétendantes célibataire. La jeune fille qui répondait au prénom de Fleur mais au nom de Percy était à loger dans la catégorie des prétendantes. Au moyen d'un site internet spécialisé dans les rencontres lesbiennes, elle avait fait la connaissance irréelle de bien d'autres femmes, en avait rencontré quelques unes bien que ces expériences se soient généralement solder par l'histoire d'un soir ou un échec retentissant.
Pourtant, ce soir là, Percy s'était comme préparée à un autre genre de rencontre sans savoir en connaître pour le moment réellement le sens. Elle hésita un instant, puis se leva avec raideur avant de se diriger vers la vitrine du café où elle avait enjoint la dénommée Soo Me à la rejoindre. Alors qu'elle s'avançait encore et encore, toujours plus prêt de la silhouette qui se ne tenait plus qu'à quelques mètres, elle en découvrit peu à peu les contours réels.
Une grande femme, d'un mètre soixante-quinze sûrement, à la corpulence extrêmement fine. De longs cheveux joints à l'arrière de sa nuque de façon rapide et non ordonnés, d'un brun foncé prononcé. Un regard particulièrement expressif d'où émanait une gentillesse et une pureté criante de sincérité. Des yeux vert tirant au gris selon la luminosité. Des pommettes saillantes surmontant des joues un peu plus concaves que la moyenne. Et un sourire certes intimidé mais honnête. L'oeil non exercé aurait donné peut-être vingt-cinq ans au plus à cette jeune femme qui en avait en trente et un. Des chaussures type vans, un jean serré, une veste en skai brun et une allure typiquement décontractée instaurait dès le départ un naturel qui ne demandait qu'à être un peu plus affirmé et révélé.
Ce ne fut pas le coup de foudre auquel Percy avait véritablement rêvé. Il n'y eut pas de battement de coeur démesuré ou plus rapide qu'à l'ordinaire. Il n'y eut pas non plus la naissance d'une attirance miraculeuse envers cette femme. Non. Rien ne se produisit.